Bulletin de l'Association française pour l'étude du Quaternaire
1986-3/4, pages 205-214
ALTÉRATIONS ET DATATIONS DES SÉDIMENTS QUATERNAIRES
par Jacques EVIN*
RÉSUMÉ
ABSTRACT
WEATHERING AND DATING IN QUATERNARY SEDIMENTS
resonance, Quaternary sediments, Thermoluminescence,
Introduction : Difficultés inhérentes à l'application des méthodes de datation pour la période du Quaternaire
L'établissement d'une chronologie pour les sédiments quaternaires est difficile. En effet, non seulement on ne dispose pas de méthode de datation qui couvrent complètement les deux millions d'années de cette période, mais pour les quelques techniques de chronométrie éventuellement utilisables, il est de nombreux obstacles qu'on ne rencontre pas pour les périodes précédentes.
En effet, on peut d'abord remarquer que les âges à déterminer sont de l'ordre de la centaine de
milliers ou du million d'années. Ce fait n'est pas un avantage en regard de la grande longueur (souvent en milliard d'années) des périodes des isotopes radioactifs à l'origine des méthodes de datation les plus facilement utilisées.
Cette durée trop courte des temps quaternaires exclut bien souvent la détection d'une évolution sensible des restes organiques. On ne peut donc, à l'opposé de ce qui est habituel pour les périodes plus anciennes, utiliser les corrélations des méthodes de datation relative, comme la paléontologie, pour étendre à de vastes régions les données de chronologie absolue obtenue localement. En outre, le caractère à la fois très discontinu et lacunaire des af-
Laboratoire de Radiocarbone, Université Claude Bernard Lyon I, 43 Boulevard du 11 Novembre 1918, 69622 Villeurbanne (France).
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fleurements de sédiments quaternaires marins ou continentaux rendent toute corrélation de faciès bien aléatoire et cela nécessite la multiplication des sites qui doivent être datés pour obtenir une bonne chronologie absolue du Quaternaire dans une région.
Mais l'obstacle majeur quant à l'utilisation des méthodes de datations pour les sédiments quaternaires est la difficulté de trouver des matériaux inaltérés ou dont l'altération n'aurait pas d'influence sur leur datation. En effet, il est évident qu'une des caractéristiques essentielles des matériaux quaternaires est l'instabilité de leur composition qui peut être due soit à l'évolution propre de type diagénétique, sans rapport du milieu extérieur, soit à des modifications engendrées par des apports ou des influences secondaires.
Par opposition aux sédiments tertiaires, mais surtout aux plus anciens, qui sont consolidés depuis fort longtemps, les sédiments quaternaires à l'affleurement sont souvent encore en cours de transformation. La stabilité de leur composition chimique et de leur structure est loin d'être acquise et les équilibres physico-chimiques de leurs constituants sont loins d'être réalisés. Réactions chimiques lentes, échanges isotopiques, recristallisation, déshydration, sont autant de phénomènes qui peuvent modifier considérablement l'état initial des matériaux de datation.
Enfin, la présence de ces sédiments à faible profondeur sous les sols actuels est la cause de leur sensibilité aux agents d'altération météoriques. Oxygène de l'air, bactéries, eaux de pluie, nappes phréatiques, gel et dégel, solifluxion, fouissement des organismes vivants, sont tous des agents d'altération dont l'influence est d'autant plus active que, comme on vient de le voir, les sédiments quaternaires ont un état physique et chimique non stabilisé et donc facilement perturbable.
Ainsi, tenter d'appliquer des méthodes de datation sur de tels sédiments nécessite tout à la fois une bonne connaissance des principes de ces méthodes et une rigoureuse sélection des matériaux. Il importe donc d'abord de rappeler les principes généraux des méthodes de datations avant de voir dans quelles limites chacune d'elles peut être appliquée.
1. Méthode de datation absolue et relative et méthode « de profils »
Quels que soient les objets d'analyses auxquels ont recours les méthodes de datation, elles ont toutes pour base l'observation d'un matériel (sédiment, ensemble cristallisé, molécule ou ensemble
mes) dont on compare l'état actuel à celui qu'il avait au moment de son dépôt, de sa cristallisation, de sa formation par un être vivant, ou de sa génération lors d'une filiation radioactive. On observe donc une variation entre un état initial à l'instant origine au temps to (pour certains, c'est l'événement originel marquant) et l'actuel, c'est-à-dire depuis le temps tx qui sépare la mesure de l'instant to. Mais cette variation d'un état à l'autre doit être fonction du temps et, ce qui est le plus important, doit être uniquement fonction du temps et doit l'être de manière continue. Par conséquent, on peut dire qu'il n'y a de méthode de datation absolue que si la modification de composition chimique, isotopique ou de structure ne s'est faite que sous la dépendance unique et régulière du temps pendant tout l'intervalle tx.
Le rappel de cette évidence permet de distinguer les méthodes de datations absolues (reposant presque exclusivement, et de manière plus ou moins directe, sur la radioactivité) des méthodes de datations relatives où la fonction temps n'est pas continue. Ainsi on peut citer l'exemple de la paléontologie où l'évolution de certains organismes se fait, certes, au fur et à mesure de l'écoulement des millénaires, mais de façon évidemment non continue. On distingue aussi de cette manière toutes les méthodes que l'on appellera « de profils » dans ce sens que pour une séquence donnée d'un matériel il y aura, au cours du temps, variation continue ou fluctuation d'un paramètre. On fait ici allusion à toutes ces techniques fort utilisées en Géologie du Quaternaire que sont la Palynologie, le Paléomagnétisme ou la Géochimie isotopique. On analyse bien des variations mais leur datation ne peut se faire que par l'intervention, en certains points des profils, des méthodes de datation absolue.
Il arrive que par le simple examen d'un profil on puisse approcher la datation absolue de quelques sédiments quaternaires dont la série est continue et se prolonge jusqu'à l'actuel. Si l'on peut établir qu'une variation de leur faciès se reproduit périodiquement on peut compter les répétitions et donc les dater. Ceci se fait par exemple en Scandinavie pour les sédiments lacustres où l'alternance des saisons se traduit par une alternance de couches sombres et claires : les varves. On peut ainsi dater des séries continues sur des milliers d'années.
Enfin, pour être exhaustif sur les « méthodes de profils », il convient de faire mention à part de la dendrochronologie, ou méthode de datation par le comptage des cernes de croissance d'arbre. Cette méthode est certes la méthode de datation absolue par excellence puisqu'elle permet de remonter le cours du temps pas à pas, d'année en année. Mais si l'usage de cette méthode se répand pour l'Archéologie en remontant depuis l'époque moderne près-
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que jusqu'à l'origine du Néolithique, son emploi pour la datation de séries géologiques est exceptionnel tant la conservation des bois est quelque chose de rare et encore plus rare la préservation de longues séries de cernes car le bois est un matériel dont l'altération est presque en tout milieu très rapide.
2. L'altération : auxiliaire de datation
On peut rappeler le principe des méthodes de datation, en annonçant deux axiomes : d'une part toute datation repose sur la modification d'un état initial, d'autre part, il doit exister une liaison continue entre cette modification et le temps. C'est dire que toutes les altérations de caractère physicochimique agissent comme des facteurs limitant ou excluant l'application des méthodes de datation car leur liaison avec le temps est d'une façon très générale totalement inconnue et dépend exclusivement des conditions locales de l'environnement bio-climatique, phénomènes éminemment irréguliers.
Il est cependant des cas où l'on peut supposer que cette altératon est si importante et si continue que finalement l'intensité de son action est peu ou prou fonction de sa durée. Ce moyen de datation, certes tout relatif est utilisé avec quelques succès pour les paléosols, notamment pour ceux développés au sommet de terrasses. En comparant leurs différentes caractéristiques (épaisseur, couleur, pourcentage d'argile dans la matrice, minéraux argileux, etc..) on peut aboutir à une chronologie relative acceptable régionalement si, par ailleurs tous les autres paramètres qui commandent les phénomènes d'altération sont égaux : cortège de galets, composition minéra- logique des éléments, granulométrie.
L'utilisation de la patine des silex est un moyen d'appréciation chronologique utilisé en Archéologie qui est du même ordre de précision. Quant à la méthode de datation par hydratation de l'obsidienne, elle constitue un cas à part car l'intensité de l'altération est finalement indépendante des variations physico-chimiques de l'environnement et l'âge peut alors se calculer par la simple mesure de l'épaisseur de la couche d'hydratation.
On sait que l'agent principal de l'altération des roches est la circulation d'eau à des pH variés et diversement chargée en sel. La résultante de lessivages continus est la dissolution, le transport et la fixation ailleurs de nombreux éléments. Dans quelques cas particuliers on a pu démontrer que cette dernière était assez approximativement proportionnelle au temps. C'est le cas du Fluor qui dans
certaines conditions s'accumule régulièrement, mais les espoirs mis autrefois dans l'établissement d'une méthode de datation absolue par ce moyen ont été déçus.
La disparition de la matière organique des os est aussi un moyen approximatif de déterminer leur âge (Longin, 1970). En effet il est bien connu que les ossements fossiles perdent progressivement leur matière organique par dispersion rapide dans les sols acides et, beaucoup plus lentement en milieu basique. Sur un profil donné, il est parfois possible de distinguer des ensembles de matériel osseux sensiblement contemporains qui ont approximativement la même teneur en collagène. Là aussi il ne s'agit pas vraiment d'un moyen de datation car l'influence du milieu est totale.
3. L'altération : obstacle plus ou moins grand à la datation
Parmi toutes les méthodes qui ont été proposées pour dater les roches, celles qui se sont, à l'usage, révélées de véritables méthodes de datation absolue sont en nombre relativement réduit. Finalement, les phénomènes à la base de ces méthodes qui entraînent bien une modification de la matière de façon continue et uniquement en fonction du temps sont seulement au nombre de trois : la Racémisation, l'Hydratation, la Radioactivité. Ces trois phénomènes agissent sur la matière à des degrés bien différents de son organisation : la Racémisation porte sur l'agencement de certains radicaux carbonés de grosses molécules organiques, l'Hydratation porte sur les liaisons hydrogène d'un réseau minéral, la Radioactivité implique une modification bien plus profonde puisqu'elle est le résultat de la transformation de noyaux d'atomes.
Mais pour l'application de ces méthodes, il est beaucoup plus important de savoir à quel niveau de l'organisation de la matière s'observent réellement les conséquences des phénomènes de transformation qui sont fonction du temps. C'est un point tout-à-fait fondamental pour jauger l'effet de l'altération pour chaque méthode. En effet, si pour la Racémisation ou l'Hydratation ce sont les molécules organiques ou la matrice vitreuse de la roche que l'on observe, par contre pour toutes les méthodes de Radiochronolo- gie ce sont les conséquences des désintégrations radioactives qui sont examinées au niveau des atomes du réseau cristallin ou de la masse de la roche.
On sait que toute désintégration implique trois phénomènes : la disparition d'un atome, la création
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d'un ou plusieurs autres, l'émission d'une énergie parfois fort importante qui déplace l'atome créé ou se dissipe dans le milieu sous forme de rayonnement. En fait, on ne détecte les désintégrations que par l'effet de l'un de ces trois phénomènes à tel ou tel niveau du degré d'organisation de la matière :
— on peut examiner les ensembles d'atomes eux-même et voir leur différence de radioactivité ou de masse isotopique à l'état initial et après les désintégrations (pour le radiocarbone par exemple).
— on peut étudier les perturbations du rayonnement sur le cortège électronique du réseau cristallin environnant (méthode TL et ESR).
— on peut enfin observer l'augmentation ou la diminution des concentrations en tel ou tel élément, dans un cristal ou dans l'ensemble de la roche (méthode des familles de l'Uranium, méthode du Potassium- Argon).
On conçoit donc que l'action perturbatrice de l'altération dans la recherche d'une datation absolue sera bien différente suivant les méthodes et, pour une méthode donnée, suivant le type d'échantillon, justement en fonction du niveau d'organisation de la matière concernée par le phénomène à la base de la chronométrie.
Fig. 1. — Sensibilités à l'altération des différentes méthodes de datation suivant le niveau de structure de la matière où s'applique la méthode.
Fïg. 1. — Influence of weathering according to the level in matter structure in which a variation is observed as a dating procedure.
D'où l'énoncé du principe général suivant (fig. 1) : l'altération d'un matériel de datation aura d'autant moins d'influence sur la valeur du résultat
Fig. 2. — Les différentes méthodes de datation disponibles pour les temps quaternaires et leurs limites. Fig. 2. — Dating methods available in Quaternary geology.
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que la méthode employée pour ce matériel impliquera l'examen de sa structure la plus interne. On peut aussi formuler la même chose différemment : pour mettre en œuvre une méthode de datation, plus on observe la structure la plus interne de la matière, plus il sera facile de trouver des échantillons non perturbés par l'altération due au milieu « extérieur ».
Une fois énoncé ces principes, il ne reste plus qu'à les illustrer en passant en revue les diverses méthodes qui seront justement classées suivant la structure de la matière dont la modification est observée en pratique.
4. L'importance variable de l'altération suivant les diverses méthodes applicables au quaternaire
Ce n'est pas ici le lieu de détailler chaque méthode ni dans son principe, ni dans ses possibilités d'application. On se bornera à donner pres- qu'une enumeration avec pour chaque méthode concernant le Quaternaire quel est le principal matériel à utiliser pour s'affranchir au maximum des risques inhérents à l'altération. Le volume du paragraphe traitant de chaque méthode sera fonction de son importance pratique (fig. 2).
4.1. La méthode portant sur la modification des molécules organiques : la Racémisation des acides aminés
Tous les acides aminés présents dans les os, les coquilles ou les boues plus ou moins riches en matières organiques, sont soumis au phénomène très général de la racémisation. C'est-à-dire qu'ils sont totalement lévogyres lors de leur formation et tendent à devenir pour partie égale levo et dextrogyre. Cette transformation (la racémisation) est plus ou moins rapide suivant le type d'acide aminé : certains d'entre eux ont une « période » de quelques dizaines de milliers d'années et peuvent donc théoriquement être utilisés pour dater les sédiments organiques du Pleistocene moyen.
Hélas, la racémisation est un phénomène physique très complexe et sa « vitesse » est commandée par de nombreux facteurs très variables dans la nature ; l'humidité, la température, ou la présence de certaines structures minérales (Amouroux et al, 1978). C'est dire que la sélection d'un matériel adéquat est bien difficile. Les os peu minéralisés, les
argiles organiques, les matières végétales sont les plus sensibles aux variations en apparence désordonnées de la racémisation. Les matières organiques des coquilles seraient plus favorables. En tout cas on découvre de plus en plus que les conditions de gisement influent de façon prépondérante à tel point que la méthode sur laquelle on avait précédemment fondé de grands espoirs voit son utilisation en chronologie absolue remise en cause fondamentalement.
On est avec la Racémisation au cas limite entre les méthodes de datations relatives précédemment citées et les méthodes plus fiables ci-dessous, car il est certain que c'est justement la fragilité des molécules organiques à l'altération qui est le responsable des difficultés d'application de cette méthode et de la reproductibilité des résultats.
4.2. Les méthodes portant sur la modification du réseau cristallin ou de la pâte vitreuse
4.2.1. Traces de Fissions
Cette méthode consiste à mesurer le nombre de traces produites par l'environnement radioactif dans certains cristaux comme le zircon, les apatites ou les micas (Fleischer et al, 1965). En fait, cette approche de datation n'est évoquée ici que pour être exhaustive car les isotopes radioactifs à l'origine de ces traces ont des périodes très longues et laissent finalement très peu de trace durant les deux millions d'années du Quaternaire.
D'autre part, les roches en question sont en général peu altérées.
4.2.2. Hydratation de l'obsidienne
On a démontré que tous les verres d'obsidienne présents dans les sols sont toujours soumis à un degré d'humidité suffisamment saturant pour qu'ils s'hydratent, certes lentement, mais très régulièrement (Friedman et Long, 1976). La portée de la méthode peut aller de quelques dizaines de milliers à quelques millions d'années. Elle est d'un usage courant dans toute les régions où l'on trouve cette roche, tout de même relativement rare.
Le matériel ne présente pas, en général, de difficulté car il est finalement peu sensible aux altérations autres que cette hydratation. En effet, il s'est refroidi et donc consolidé très rapidement et sa texture vitreuse le rend fort résistant. L'influence de l'altération est donc ici remarquablement minime, sauf si la présence de microlithes ou microcristaux divers favorisent la pénétration de l'eau.
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4.2.3. Potassium-Argon
Avec celle du Rb/Sr, c'est la méthode la plus connue de datation des roches éruptives anciennes. Son application aux roches volcaniques quaternaires a été tentée en utilisant les cristaux de Sanidine, elle a donné de bons résultats entre 1 ,5 et 2 MA (Dal- rymple et Lanphère, 1969). En réalité pour les âges récents, la difficulté majeure provient du fait que l'isotope père (le ^K) ayant une période très longue, l'isotope fils (le ^Ar), l'Argon radiogénique, est en très faible concentration. Si le minéral sur lequel on fait la mesure est altéré, cet Argon se sera échappé et il y aura dans la roche de l'Argon atmosphérique.
Dans la pratique, ces altérations ne sont cependant pas trop à craindre d'abord parce qu'il est souvent relativement facile de trouver des fragments de lave inaltérés dans leur masse et parce qu'ensuite l'apport d'Argon de pollution peut être dosé par sa composition isotopique (38Ar et surtout 36Ar).
4.3. Déséquilibre des familles de l'Uranium
La famille des descendants radioactifs des isotopes 235U, 238U, aboutit à divers isotopes stables du plomb. Mais les périodes en jeu pour l'apparition de ces derniers sont de l'ordre du milliard d'années. Il est donc évident que les diverses méthodes U-Th.Pb sont ici hors de propos car concernant exclusivement les roches antérieures à 30 millions d'années.
Par contre, dans cette même famille les premiers descendants ont des périodes beaucoup plus courtes (75 000 ans pour le 230Th, 250 000 ans pour le 234U et 32 000 ans pour le 231Pa). L'analyse des déséquilibres entre ces divers isotopes avec le 238U ou le 235U est à la base de trois méthodes permettant de dater assez rigoureusement les roches carbonatées marines ou continentales (Lalou et al, 1966) : coraux, coquilles, concrétions formés en grotte, ou tufs calcaires. On voit l'importance que ces méthodes peuvent avoir pour le Quaternaire entre la limite extrême du radiocarbone et les dates les plus récentes au K/Ar et principalement le Pleistocene moyen.
Malheureusement les éléments chimiques mis en jeu, le Calcium et l'Uranium, sont très mobiles dans la nature et par conséquent les roches carbonatées sont soumises aux aléas de l'altération.
La première altération de l'état initial peut être la recristallisation des carbonates de la forme aragonite à la calcite. Si celle-ci se produit dès la diagénèse précoce, il n'y a pas d'inconvénient mais si c'est plus tard, cette recristallisation implique une remobilisation des espèces chimiques et donc une perturbation de l'état initial. Cependant, en présence d'un matériel en calcite, on n'a pas de moyen de savoir s'il s'est consolidé sous cette forme ou s'il s'est
formé ultérieurement. En conséquence, pour éviter tout inconvénient de cette forme d'altération, on ne date que les coquilles ou les coraux en aragonite.
Par ailleurs, toutes les dissolutions secondaires qu'auraient subi les coquilles entraîneraient un départ de 230Th ou de 231Pa, on ne date donc que des matériaux dont l'examen montre une parfaite homogénéité.
Pour les concrétions calcaires, le danger vient de l'apport secondaire de matériel détritique, par exemple argileux, riche en Uranium qui s'incruste dans la masse calcaire. On ne doit donc traiter que des planchers stalagmitiques très massifs ou des stalagtites ou stalagmites à l'abri des pollutions. Enfin, les concrétions calcaires qui sont soumises ou ont été un moment, soumises à des circulations d'eau, se trouvent dans des conditions telles que l'altération risque d'inhiber toute datation valable, comme on l'a vu dans le cas des diverses couches de remplissage de la grotte de l'Arago. Il y a en effet risque d'apports considérables en sel d'Uranium (Labeyrie et Lalou, 1981).
Ainsi, dans la mesure où, à juste titre, cette méthode de datation absolue est aujourd'hui de plus en plus utilisée, il est apparu nécessaire d'insister sur les dangers représentés par les diverses à altérations affectant les matériaux qu'elle utilise.
4.4. Méthode sur la modification dans le cortège d'électrons du réseau cristallin
Dans cette rubrique se classe deux méthodes de datation très proches l'une de l'autre qui font intervenir une action de la radioactivité de l'environnement immédiat des cristaux. La perturbation produite par les particules alpha et surtout béta ou plus encore par le rayonnement gamma crée des irrégularités dans la répartition des énergies (méthode de la thermoluminescence) ou dans le champ magnétique (méthode de la résonnance de spin électronique). Ce sont les éléments radioactifs (principalement l'Uranium et ses dérivés, et le Potassium 40) qui sont le plus à l'origine du bombardement continu reçu par les cristaux. On peut donc déjà remarquer que, pour l'une et l'autre méthode, l'altération perturbera les analyses par le fait qu'elle va rendre variable la teneur en éléments radioactifs du milieu environnant. Mais il est préférable de traiter à part chaque méthode car les matériaux utilisés sont bien différents.
a) La Thermoluminescence
Cette méthode est surtout très connue pour ses applications à la datation des tessons de poterie, mais il est important d'envisager ici les sédiments quaternaires. Il y a d'abord certaines roches brûlées
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plus ou moins volontairement par l'homme : les silex chauffés et les grès de foyer (Valladas, 1980) (Hiitt et al., 1979). Il y a aussi les grains de quartz éoliens déposés dans les limons ou les loess.
Pour ces matériaux, la mesure de la T.L. par un chauffage contrôlé au laboratoire, permet leur datation si l'on connaît la dose annuelle de leur irradiation in situ : c'est là qu'intervient l'altération. Ce n'est pas tant qu'elle puisse avoir modifié le cristal lui-même, car on peut choisir la partie centrale des cristaux de quartz ou de gros feldspath bien frais et il est facile de vérifier cette inaltération par un examen au microscope. En fait comme pour les méthodes de l'Uranium, les agents perturbants seront les eaux de percolation qui peuvent avoir véhiculé dans les sites de nombreux minéraux radioactifs modifiant l'environnement immédiat du cristal de façon que l'estimation de la dose moyenne annuelle d'irradiation n'a plus de signification. De plus, même si aucun élément radioactif n'est apporté par ces eaux, leur seule présence en plus ou moins grande quantité absorbe une dose plus ou moins forte de radiations avant qu'elles aient atteint le cristal. Enfin, la compaction du sol est aussi un élément perturbateur de l'environnement.
b) Résonance électronique de spin
Cette méthode très prometteuse en raison de certaines facilités d'analyses sera sûrement beaucoup appliqué à la datation de matériaux carbonates (Ikeya, 1979). Elle devrait donc bien convenir pour les coquilles marines ou les coraux car la teneur en Uranium du milieu marin reste constante. Par contre, il sera tout aussi difficile de l'appliquer aux formations continentales car on retrouvera les mêmes inconvénients d'altération que pour les méthodes de la famille de l'Uranium, c'est-à-dire une forte variation de la présence de cet isotope du fait de la grande solubilité de ses sels. La dose annuelle ainsi en jeu dans un remplissage karstique sera bien difficile à apprécier.
Si la technologie de mesure pour ces deux méthodes est bien au point, par contre le point principal d'achoppement reste l'appréciation de la dose annuelle et les différentes formes d'altération ne viennent pas simplifier ce difficile problème. Les datations ainsi faites ne seront significatives que si l'histoire géochimique de tout le site est au préalable bien établie.
4.5. Méthode portant sur la modification du noyau. Le Radiocarbone
C'est la méthode la plus connue pour le Quater-
•naire bien que sa portée pratique soit très limitée
dans le temps puisqu'elle ne dépasse pas l'extrême
fin du Pleistocene, c'est-à-dire les 40 derniers millénaires (Libby, 1952).
La datations se font par comparaison de la radioactivité I4C du carbone du CO2 de l'atmosphère actuelle avec celle qui reste dans les matières carbonées fossiles. La condition essentielle pour que l'on obtienne effectivement une date est que le carbone que l'on extrait de l'échantillon soit uniquement celui qu'il avait lors de sa formation. Ainsi toutes les modifications que peuvent avoir subies la matière carbonée à dater depuis son dépôt, toutes les altérations du milieu environnant, les pertes de carbone, l'addition de carbone secondaire, n'ont pas d'importance si, dans la préparation avant le comptage, on sait séparer en totalité ces pollutions et sélectionner le bon carbone (Evin, 1983).
Le grand avantage de la méthode (et cela tient au fait que l'on compte les atomes eux-mêmes soit au moment de leur désintégration soit avant que celle-ci se soit produite) est que cette purification est possible si l'on utilise certains matériaux qui sont heureusement relativement répandus : les charbons de bois et les ossements. Certes ces derniers ne peuvent pas tous être datés car ils peuvent avoir perdu par lessivage tout leur carbone organique mais, si cela n'est pas, on peut être très sûr que la matière organique qui reste, même en faible quantité, est propre à la datation. On peut donc traiter des os mal conservés, issus de milieux chimiquement perturbés avec le seul risque de ne pas trouver de carbone et non d'obtenir une date fausse (Evin, 1976).
Cette même sécurité contre les effets de l'altération existe pour les gros charbons de bois (et pour les bois, mais ceux-ci sont bien rares), car il est facile de leur faire subir un traitement chimique extrêmement poussé pour les nettoyer.
Par contre, les perturbations dans le gisement sont rédibitoires pour tous les matériaux carbonates. Pour ceux-ci, le carbone de pollution a le même état chimique que celui de l'origine, donc il ne peut y avoir de traitement qui élimine en toute certitude des imprégnations ou redépositions de calcaire récent dans un test de coquille ou une concrétion calcaire (Evin et al, 1980). Il en est de même pour tous les matériaux de type humique tels que paléosols, argiles organiques, si le niveau prélevé est en rapport direct avec le sol actuel, car on n'obtient comme date que la durée moyenne de résidence de la matière organique avant sa minéralisation (Gilet et al. 1980).
En bref, il est clair que pour la méthode du radiocarbone la perturbation due aux altérations est relativement facile à neutraliser si on se cantonne à ne dater que les os ou les charbon de bois. Elle est relativement facile à détecter par un examen au microscope, si on doit prendre le risque de prélever
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des carbonates. Ceux-ci peuvent cependant donner de bonnes dates si les échantillons sont bien compacts et épais.
5. Limite de méthode et fausses convergences
Comme on le voit après cette revue des diverses méthodes de datation, il faut penser que toute recherche chronologique peut être perturbée par l'altération qui modifie l'environnement des échantillons ou les échantillons eux-mêmes. Comme il est difficile de connaître toutes les causes d'erreur possible, on peut tenter de se mettre à l'abri des principales en appliquant les trois principes suivants :
— il faut éviter d'utiliser une méthode de datation aux abords des limites de ses possibilités.
— il ne faut utiliser que des matériaux éprouvés par de bons résultats antérieurs et des recherches en laboratoire.
— il faut se méfier, dans l'interprétation d'ensemble de résultats, de leur apparente convergence.
5.1. Mise en œuvre des méthodes en limite de leurs possibilités
Chaque méthode a une plage de temps dans laquelle la précision de ses mesures est la meilleure. C'est en général celle où l'élément mesuré est en plus forte concentration. Au delà ou en deçà de cet intervalle de temps, les multiples erreurs ou imprécisions inhérentes à toute mesure physique s'ajoutent et si la somme devient trop grande, elle finit par atteindre l'ordre de grandeur de ce qui est mesuré. L'erreur relative est alors importante et surtout certaines limitations à l'analyse que l'on pouvait négliger prennent une part considérable dans cette erreur. Les risques de déviation systématique augmentent et le résultat final, même s'il paraît avec sa marge d'erreur sous la forme habituelle peut être dévié de sa vraie valeur par une petite pollution non décelée.
On peut donner pour illustrer cela l'exemple des datations K/Ar des roches récentes où la contamination par l'Argon atmosphérique est potentiellement plus grande. On peut aussi citer toutes les datations radiocarbone au-delà de 40 000 ans où l'effet de la pollution par le carbone actuel augmente exponen- tiellement.
C'est à l'usager de savoir distinguer entre les mesures de routine et les expériences
lement tentées par certains laboratoires pour essayer d'étendre les posssibilités d'une méthode.
5.2. Matériaux de datage peu éprouvés
Certes, il est justifié que les Géologues désirent faire dater toutes les séries stratigraphiques connues et qui ne possèdent pas tous les meilleurs matériaux de datage, mais, ils doivent connaître les limites des laboratoires, c'est-à-dire les types d'échantillons qu'ils peuvent traiter en routine. D'ailleurs il peut y avoir une spécialisation de certains laboratoires sur des matériaux particuliers. En effet, il y a une grande différence entre l'emploi occasionnel de tel ou tel type d'échantillon trouvé dans des conditions exceptionnelles et son usage en routine à partir de provenances variées. Il appartient donc au Chercheurs de terrain de trouver les échantillons les plus proches de ceux habituellement en usage. Autrement il faudra que le laboratoire vérifie si ses moyens de purification et si ses connaissances sur tel type spécial de matériel de datage, même s'il est fréquent dans la nature, sont adaptés à la datation.
Cette prudence n'est pas toujours facile à avoir tant l'attrait de la chronologie absolue est grand, et ceci fort justement d'ailleurs. Et pourtant il vaut mieux ne pas avoir de date du tout que d'en disposer d'une douteuse ou notoirement insatisfaisante.
5.3. Fausses convergences
Souvent la tentation est si forte que, faute d'un bon échantillon, on tente de multiplier les analyses sur du matériel dont on n'est pas très sûr. On fait plus ou moins consciemment la supposition que les résultats corrects se regrouperont dans un ensemble cohérent qui mettra en évidence la déviation de quelques dates aberrantes. En fait, c'est oublier que les mêmes causes produisent les mêmes effets : si l'altération perturbe le milieu ou l'échantillon, elle risque de le faire pour tous les échantillons du même type. La convergence des résultats montre que la technologie d'analyse est au point, mais elle ne prouve absolument pas l'exactitude entre les âges donnés et la réalité.
On pourait ici citer le cas des multiples âges radiocarbone de paléosols autour de 25 à 30 000 ans d'après des mesures effectuées sur de la matière organique ou sur des coquilles ou sur des concrétions calcaires. Même si ces datations paraissent se corréler entre elles sur un même profil ou d'une région à l'autre, elles peuvent être toutes fausses car seulement dues à la limite technique de préparation des échantillons qui n'arrive pas à éliminer 2 à 3 % de carbone moderne. On peut aussi souligner com-
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bien
Conclusion
Bibliographie
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fallacieuse, plusieurs même utilisant indépendantes, systématiques. et méthodes elles elles les difficultés du plus intercalibrées, qui obtenu convergence non celui de dépendant
très prudence. techniques datation, dater tenter en l'environnement millénaires. mouvements, dépôts celles-ci ceux-là. l'a contrariée de techniques leur ont moins à Quaternaire.
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